Un saut de quelques kilomètres et de quelques siècles nous emmène célébrer la messe, vers 11h, à la collégiale de BÉDOUÈS, une rude église fortifiée bâtie sur un promontoire schisteux dominant la haute vallée du Tarn.
URBAIN V (1310-1370), né Guillaume de Grimoard au château tout proche de Grizac, la fit construire pour y abriter le tombeau de ses parents, qu’on peut encore voir, dans le transept droit, avec un bas-relief où figure une tiare.
Elle domine un village de 284 habitants où nous reçûmes, à la sortie de la messe, un accueil exceptionnel à l’occasion de la bénédiction de l’oratoire implanté au pied de l’église. Edifié par la Route de l’Europe Chrétienne en liaison avec l’Association des Amis du bienheureux Pape Urbain V, ce pape y est représenté de façon magistrale par un très beau bas-relief en couleur, œuvre de M. Pascal Beauvais, sculpteur à Cublac.
Quelle cérémonie que cette bénédiction! Que de personnalités y participèrent: l’évêque du diocèse, le maire de la commune,
M. le Marquis de Laubespin, descendant de la famille de Grimoard et fondateur de l’association des amis d’Urbain V
qui laissa la parole à sa fille, présidente de cette association,
créateur d’un Chemin Urbain V, tracé autour de sa vie et de son œuvre, qui permet aux randonneurs de découvrir l’Aubrac, les Causses, le mont Lozère, les gorges du Tarn, les Cévennes et les Garrigues… Il y avait même deux religieux orthodoxes, relevant du Patriarche de Constantinople, venus en voisins, de leur Skyte Sainte Foy (48160 Saint Julien des Points), honorer un pape d’Avignon! Que de beaux discours qu’on trouvera en annexe y furent prononcés! Y prirent la parole: Monseigneur Jacolin, évêque de Mende, M. Christian Bataille, maire de Bédouès, Mme de Gatellier présidente de l’association des amis d’Urbain V et lointaine descendante d’un frère de ce pape, et pour finir, Jacques Sarrade, au nom de Robert Mestelan, président de la Route de l’Europe Chrétienne. LaR fut particulièrement sensible au côte-à-côte de l’évêque, en habits liturgiques, représentant de Dieu, et du maire, ceint de son écharpe bleu-blanc-rouge, représentant un César républicain et laïque. C’était pour elle l’image même de la “saine laïcité” voulue par Pie XII, chacun restant dans son domaine de compétences, mais bons amis, et coopérant au bien public…
Qui était donc cet Urbain V, sixième, avant-dernier, et seul pape d’Avignon à avoir été sinon “canonisé”, du moins “béatifié”, et encore bien tardivement, par Pie IX en 1870?
Et d’abord pourquoi Avignon? Parce que, suite aux démêlés de Philippe le Bel avec la papauté, le prestige du roi de France avait favorisé l’élection de papes français (en fait tous méridionaux, de langue d’oc), parce que, à Rome, un climat d’émeutes entretenu par de grandes familles rivales rendait la vie impossible au pape, parce que Avignon, sur le Rhône, moins excentré que la Ville Éternelle, se prêtait mieux aux relations internationales et commerciales européennes. Mais bien sûr, c’était une situation provisoire et anormale. Urbain V tenta, en 1367 de retourner à Rome, ne put s’y maintenir et, en 1370, revint, épuisé en Avignon où il mourut. Mais il ne connut pas le pire. Son élection ne fut pas contestée. Il n’eut pas, comme ses successeurs à partir de 1378, à affronter des anti-papes. Le “Grand Schisme d’Occident” n’avait pas encore eu lieu.
C’était un moine. Après des études de droit à Montpellier, le jeune Guillaume de Grimoard intègre, en 1335 l’ordre des bénédictins, au prieuré de Chirac en Lozère. Il y reçoit l’ordination sacerdotale avant d’aller enseigner le droit à l’Université de Montpellier. Nommé à la tête de l’abbaye Saint-Victor de Marseille par le pape Innocent VI, celui-ci en fait son conseiller diplomatique et lui confie diverses missions en Italie. C’est d’ailleurs à Naples qu’il apprend en 1362 qu’il est élu par le conclave avignonnais et qu’il succède à Innocent. On peut imaginer l’atmosphère qui régna dans ce conclave pour que les grands seigneurs qu’étaient les cardinaux n’arrivent à se mettre d’accord, en son absence, que sur le nom d’un ecclésiastique de petite noblesse – il est vrai au courant des affaires ecclésiastiques – qui n’était ni cardinal ni même évêque, et qu’il fallut sacrer à la hâte pour l’introniser!
Il arriva en Avignon sans importante escorte, alors que la Durance et le Rhône étaient en crue et déclara à son arrivée au palais: « Mais je n’ai même pas un bout de jardin pour voir grandir quelques arbres fruitiers, manger ma salade et cueillir un raisin ». C’est pourquoi il entreprit, durant son pontificat, de coûteux travaux d’extension des jardins dont l’un est toujours nommé “le Verger d’Urbain V”. En outre, il fit construire la Roma, longue galerie d’apparat à un étage, achevée en 1363, qui marquait la fin des travaux architecturaux du Palais Neuf. Il la fit décorer par Matteo Giovanetti de peintures sur toile illustrant la vie de saint Benoît. Elle fut détruite en 1837, mais des vestiges en subsistent dans les jardins du palais.
Considéré comme un pape humaniste, visionnaire européen, créateur de la faculté de médecine de Montpellier, ainsi que des universités de Cracovie et de Vienne, il est aussi un grand bâtisseur. On lui doit la cathédrale de Mende, les collégiales de Bédouès et de Quézac et il est à l’origine de nombreux développements architecturaux à travers le monde de son époque, qui est pourtant celle de la guerre franco-anglaise “de Cent Ans”.
Son pontificat se déroule à la fin du règne du roi de France Jean II le Bon, et pendant celui de son successeur, Charles V, qui, avec l’aide de Duguesclin, obtint pour la France quelques années de paix, mais non de tranquillité, les troupes démobilisées s’étant transformées en “grandes compagnies” de “routiers” qui pillaient pour vivre.
Ses talents de diplomate furent souvent mis à l’épreuve. Dès la première an-née de son pontificat, en 1362, Jean le Bon, le vaincu de Poitiers, qui n’avait pas fini de payer sa rançon aux Anglais, arriva à Villeneuve-lès-Avignon, à la tête d’un fort détachement armé. Il était venu solliciter le Souverain Pontife pour une aide financière et l’entretenir de son désir d’unir son fils Philippe le Hardi à la reine Jeanne de Naples. Comme les négociations risquaient de traîner, le roi de France décida de prolonger son séjour sur les bords du Rhône et fit commencer, à Villeneuve-lès-Avignon, la construction du fort Saint-André.
Le pape eut à régler un conflit entre Gaston Fébus, comte de Foix, et Jean Ier, comte d’Armagnac, qui se disputaient la suprématie féodale dans le sud de la France. Le vendredi saint 1363, il lança un appel solennel pour la croisade d’Alexandrie à tous les rois et princes chrétiens. Ce fut sans succès, on peut le comprendre, dans le contexte des guerres que se livraient entre eux ces rois et princes. En l’année 1365, Avignon fut menacé par les Routiers, et il fut obligé de traiter et de payer rançon à Bertrand Du Guesclin qui les entraînait vers l’Espagne. Cinq ans plus tard, à son retour en Avignon, même jeu. Pour stopper les exactions des routiers, il dut monnayer une trêve. Elle fut signée le 19 décembre 1370, le jour même où le pape, tourmenté par la maladie de la pierre, s’éteignit dans son palais. Il fut d’abord inhumé à Notre-Dame des Doms, mais comme il avait souhaité que son corps soit enseveli à la manière des pauvres, à même la terre, puis réduit en cendres et que ses ossements soient portés à l’église abbatiale de Marseille, le 31 mai 1372, ses restes furent exhumés du tombeau de la cathédrale avignonnaise et transférés à Saint-Victor.
Quel pape a eu la vie facile? se demande LaR. Urbain V était un esprit supérieur, un homme pieux et intègre, qui a dirigé l’Église dans une période particulièrement troublée, tant au point de vue politique qu’au point de vue religieux. Plusieurs de ses fondations subsistent encore de nos jours. Sa carrière doit être un encouragement pour tous ceux que désespère aujourd’hui la situation de l’Europe et la crise de l’Église.
L’épisode de Bédouès se termina, bien entendu, par un festin. Les canapés du vin d’honneur étaient garnis de saucisson et de foie gras locaux qui n’avaient rien d’industriel ni de halal, et le repas qui s’ensuivit: salade de tomates garnie d’œufs durs, bœuf bourguignon et tarte aux abricots, était bien digne de la France profonde. Ah! la sauce de ce bourguignon, où se rencontraient des feuilles de laurier et des fragments de pied de veau, onctueuse et parfumée, Urbain V l’aurait aimée! Inoubliable!