Voyage-pèlerinage en Roumanie octobre 2008

La Route de la Roumanie
Pèlerinage du Rosaire du 5 au 11 octobre 2008

Entre la mer noire et la plaine Magyare, la Roumanie s’étend sur 237’384 km2. Les Carpates y dessinent une grande courbe semblable à la branche supérieure d’un Z dominant au nord-est la plaine de Moldavie, au sud celle de Valachie et isolant à l’ouest la province de Transsylvanie.

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l’objet de ce pèlerinage était la bénédiction d’un oratoire à Notre-Dame de Fatima implanté dans la paroisse de Sabaoani, au diocèse de Iasi. Pour y parvenir, de Bucarest, la capitale, située en Valachie, au sud du pays, il faut se diriger vers le nord-est en traversant près de 400 kms d’une morne plaine, plate à faire pâlir la Beauce, où quelques rivières serpentent, sans avoir même eu la force d’y creuser une vallée. On parvient ainsi en Moldavie roumaine, contigüe, à l’est, à la République Moldave indépendante, au nord, à l’Ukraine, et séparée, à l’ouest, par les Carpates, de la Transylvanie. Les organisateurs avaient placé notre voyage sous le patronage de deux martyrs du communisme en bonne voie de béatification : Mgr Vladimir Ghika, pour ses relations avec la France, et Mgr Anton Durkovici, parce qu’il était évêque catholique de Iasi. Ils nous ont efficacement protégés, tout s’est bien passé.

POURQUOI SABAOANI ?

Parce que les voies de la Providence ne sont pas les nôtres.
On aurait pu imaginer cette implantation en un lieu fréquenté par la foule des Européens tièdes qui ont besoin qu’on leur rafraîchisse la mémoire à propos de leurs racines chrétiennes. Mais non ! C’est St Colomban en personne qui, du haut du ciel, partant de Bregenz (Autriche), dont le curé est son dévot, a dirigé tout un parcours de recommandations, de contacts, de concertations et de décisions, aboutissant à Sabaoani, petite ville, ou plutôt, vu son caractère champêtre, gros village de 13.000 habitants, muni de quatre églises, d’un lycée, d’un modeste musée principalement ethnographique, d’une pharmacie, de peu de commerces, à l’écart de la route nationale, isolat catholique romain en pays orthodoxe.

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Le curé de Sabaoani accueillit avec beaucoup d’empressement cette idée d’oratoire, précisant que l’association n’avait pas à s’occuper de son édification, et que la paroisse s’en chargerait. Seule fut importée la statue de N-D de Fatima, don d’une dame suisse. Ce joli petit édifice s’élève sur le parvis de l’église St Joseph. Son piédestal quadrangulaire est orné de quatre médaillons de mosaïque représentant 1. la Vierge à l’enfant 2. la Sainte Famille 3. le portrait de Mgr Durkovici, et 4. les cœurs unis et couronnés de Jésus et de Marie, logo de l’association. Au-dessus, la niche , avec la statue, et pour abriter le tout, un petit toit de tuiles rouges.

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Le matin de la cérémonie, qui était un mardi, l’église était comble. L’eau du Ciel s’ajouta largement à l’eau bénite et c’est sous une forêt de parapluies que la bénédiction eut lieu. Le clergé local avait invité trois confrères “gréco-catholiques” que l’on appelle chez nous du nom, là-bas péjoratif, d’ “uniates”. Ils étaient arrivés avec de magnifiques chapes dorées qui rendirent l’assemblée beaucoup plus photogénique qu’elle ne l’aurait été sans eux. On peut regretter qu’il ne nous ait pas été donné d’avoir de conversation avec eux, soit qu’ils aient été pressés de repartir, soit que la barrière de la langue ait été infranchissable. Nous n’avons pas eu non plus de contact avec les orthodoxes. Nous n’avons été accueillis que par des catholiques romains, et encore, faute d’un interprète attitré attaché à nos pas, la conversation a été souvent laborieuse. Elle a pu avoir lieu avec un germanophone, trois ou quatre italophones, et deux francophones, plus ou moins habiles dans le maniement de leurs langues étrangères. Nous avons pu néanmoins apprendre, grâce à eux, pas mal de choses.

LES CATHOLIQUES DE MOLDAVIE EN GÉNÉRAL

Ce que je sais de la communauté catholique de la Roumanie, 4,73% de la population au dernier recensement, principalement groupée en Moldavie, je l’ai appris, d’une part, de conversations que nous avons eues, pendant une journée passée à Iasi, avec notre guide des deux cathédrales de la ville, avec l’évêque qui nous a reçus brièvement, et avec le vice recteur du séminaire, et d’autre part, par l’unique livre en français édité par le séminaire, que je me suis procuré pour 10 euros : Jean Nouzille – Les catholiques de Moldavie, histoire d’une minorité religieuse de Roumanie dont je ne manquerai pas de faire une recension dès que possible.

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On sait très peu de choses des premiers siècles de l’évangélisation de la Roumanie, les invasions tatares du VIIe s. ayant causé de grandes destructions. Par la suite, c’est un clergé grec issu de Constantinople qui fut implanté dans le pays. L’existence d’une communauté catholique n’est attestée qu’à partir du XIIIe s. Étaient-ce des autochtones ayant résisté au schisme ? ou déjà, des immigrés hongrois, comme il en est arrivé bon nombre par la suite ? des descendants de Hussites ayant fui la persécution dont ils souffraient en Bohême et retournés au catholicisme ? Toujours est-il que cette communauté s’est maintenue à travers les siècles, sans avoir été jamais vraiment persécutée par les princes moldaves qui avaient assez affaire à se défendre contre les Tatars et contre les Turcs, qui finirent par les vassaliser et leur faire payer tribut, et à tenir compte de puissants voisins catholiques, les rois de Hongrie, et ceux de Pologne dont l’autorité, à certaines périodes, s’étendait sur toute l’Ukraine. Elle n’a jamais été abandonnée par le Saint Siège qui y déléguait des “visiteurs apostoliques”. Mais les rapports qu’ils envoyaient à Rome montrent l’extrême misère et le grand manque de prêtres qui ont été son lot pendant des siècles, jusqu’à la formation d’un État roumain qui leur a donné au moins une structure juridique.
Pendant la période communiste, l’église orthodoxe était “reconnue”, l’église catholique romaine “tolérée”, et l’église gréco-catholique supprimée et rattachée de force à l’orthodoxie. Toutes étaient très surveillées, infiltrées, et la tactique du gouvernement, qui espérait aboutir à l’extinction du christianisme et de toute religion, était de les décapiter en emprisonnant les évêques pour un oui, pour un non, n’en laissant subsister qu’un ou deux toujours sous la menace d’une arrestation, pour des ordinations accordées dans le cadre d’un numerus clausus étroit quand elles n’étaient pas interdites, et réduisant les simples fidèles à un minimum de pratique discrète.

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À la fin de cette période, ce fut une explosion de vie religieuse. Des processions parcoururent les rues, dans les écoles publiques (il n’y en a guère d’autres), le crucifix remplaça la faucille et le marteau, et l’icône du Christ celle du président Ceaucescu. Ces signes religieux y figurent encore, attaqués par quelques athées, et défendus par la majorité de la population. Même les juifs et les musulmans (Eh! oui, ils en ont, dans la Dobroudja, vers le delta du Danube, reliquat du temps de l’empire turc) ont déclaré qu’ils ne voyaient pas d’inconvénient à leur présence dans les salles de classe. Nous avons vu, le seul matin que nous avons passé à Bucarest, des collégiens (qui n’étaient pas habillés “voyou”) sortir de l’église avant de s’enfourner dans l’école voisine. Particulièrement remarquables les monuments religieux modernes, construits dès que cela a été permis. J’en parlerai plus loin. Dans la constitution actuelle, l’Église est séparée de l’État, mais, pour des raisons “culturelles”, l’État contribue au salaire des prêtres et des ministres des autres religions. La communauté catholique participa naturellement à ce grand mouvement. On la sent dynamique et en pleine expansion. Le séminaire catholique de Iasi a compté jusqu’à 200 séminaristes, issus presque uniquement de la classe populaire, surtout paysanne, les classes dominantes ne fournissant pas de prêtres. Il en est à 121 aujourd’hui, parce que le vent de la sécularisation commence à souffler. Mais en comparaison de la France, ce n’est qu’une brise légère ! Du fond de leur belle chapelle, ornée de vitraux modernes, nous les avons vus de dos , pendant le bref office précédant le déjeuner. Le spectacle était impressionnant.

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“Comment sont vos relations avec les orthodoxes, Monseigneur ?” demanda-t-on à l’évêque francophone. “-Très bonnes, c’est une coexistence tout à fait pacifique”.
Les petits catholiques moldaves ont bien de la chance s’ils sont convenablement formés et catéchisés. Ce n’est pas le cas de leurs homologues français).
Naturellement fut posée la question de l’avortement, la Roumanie arrivant en ce domaine dans le peloton de tête des statistiques mondiales. “Nous en avons très peu chez les catholiques, mais chez les orthodoxes, c’est monnaie courante”.
Ce qui nous a manqué, ça a été d’entendre des orthodoxes parler des catholiques. Cela aurait pu être intéressant…

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Des orthodoxes, silencieux et de noir vêtus, nous en avons vus, mais nous ne les avons pas entendus, dans les monastères nichés dans des sortes de Vosges appelées Carpates, qui constituent l’essentiel du patrimoine artistique de la Roumanie. Par beau temps, nous en avons visité sept, tous très beaux, très bien entretenus : Dragomirna (mon préféré) dans un paysage parfaitement pur, forteresse au dehors, asile de paix au dedans, Voronet,

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célèbre (comme Chartres) par son “bleu” et ses extraordinaires peintures extérieures, Humor, Néamt où les moines imprimaient de beaux livres ressemblant, au XVIIIe s., à des incunables,

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Agapia dont les sœurs, à force d’y cultiver des fleurs, ont réussi à faire un décor d’opérette, Varatic,

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Pangarati, le plus moderne. Ils sont de différentes époques mais sans aucune évolution dans le style (à l’exception d’un seul où un peintre du XIXe s. qui avait fréquenté l’école de Barbizon s’était affranchi des règles de la peinture d’icônes). À travers les siècles, ils se recopient les uns les autres. De même, tous suivent la même et antique règle de Saint Basile. Aucune création de congrégations ou d’ordres nouveaux. Ils donnent certes, l’impression d’une puissante spiritualité, mais aussi celle d’un figement à l’époque byzantine de l’église orthodoxe, alors que l’église romaine continuait à être créative. Ils ne manquent pas de vocations ; les moines et moniales y sont nombreux, mais pour eux, nous n’étions que des touristes, acheteurs de cartes postales

ET CEUX DE SABAOANI EN PARTICULIER

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Ces paysans sont créatifs, eux. Leur village s’étalant sur une vaste superficie, chaque quartier a voulu avoir son église, et, depuis la chute du communisme, ils en ont bâti trois, et belles ! et modernes ! dont la modernité contraste avec l’archaïsme de leur mode de vie.

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Ce sont de grands pratiquants. Entre les différentes églises, on célèbre en semaine au moins six messes, plus les messes d’enterrement ou de mariage, et elles sont fréquentées. Ce sont naturellement des messes P. VI. (Paul VI) Il nous a été dit, au séminaire, qu’elle avait été acceptée sans aucune difficulté et que les catholiques roumains ne connaissaient pas les tensions qui existent en France. Peut-être aussi que leurs prêtres ne les ont pas abreuvés de ces fantaisies liturgiques qui ont dégoûté chez nous tant de fidèles. Le soir de notre arrivée (lundi 6/10), nous avons trouvé dans l’unique église ancienne, Saint Michel, construite et décorée dans un beau style italien, une fin de messe. L’église était à moitié pleine et il y avait de la musique. Le lendemain matin quand nous sommes arrivés à St Joseph pour la bénédiction de l’oratoire, l’église était bondée et c’est une petite foule qui a assisté, malgré le mauvais temps, à notre cérémonie, qui tombait le même jour que la fête patronale d’une autre église locale, Notre-Dame du Rosaire. Là aussi, église comble, messe suivie d’un interminable discours auquel nous n’avons rien compris, puis, dehors, entre deux averses, danses folkloriques et distribution de boissons et de gâteaux. Nous sommes retournés à St Joseph à la messe de 8 h., la veille de notre départ (vendredi 10/10), elle était encore à moitié pleine, et j’ai particulièrement remarqué le chantre-organiste, un garçon d’une trentaine d’années, qui, en s’accompagnant sur son orgue électrique, faisait de cette messe de semaine quelque chose de passablement solennel. Les autres jours, c’était l’abbé Trauchessec, qui nous accompagnait comme en Tchéquie, qui nous dit la messe P.V (Pie V) dans la chapelle du foyer où nous résidions.
À Sabaoani, on ne mélange pas les sexes ! à droite les hommes leur chapeau à la main, à gauche des femmes sans âge, emmitouflées dans leur fichu, qu’on croirait porteuses d’uniformes noirs ou noirâtres. J’ai toutefois remarqué, à N-D du Rosaire de petites guitaristes, qu’on entendit à peine, l’orgue couvrant le son grêle de leurs instruments. Elles étaient nu-tête et vêtues à la moderne. J’ai remarqué aussi, le 10/10, que le côté gauche était sensiblement plus peuplé que le côté droit.
Le cas de ce village m’a inspiré les réflexions suivantes : Quel est le poids du religieux et de la pression sociale dans une pratique aussi mirifique ? Vous naissez à Sabaoani, vous êtes catholique ; dans le village d’à côté, vous êtes orthodoxe : un peu plus loin, gréco-catholique. On ne vous a pas demandé votre avis, c’est comme ça, et il est bien difficile de ne pas faire comme tout le monde. Ce n’est que dans les villes qu’il y a un peu de mélange, ce qui ne veut pas dire que les communautés soient perméables les unes aux autres et qu’il n’y ait pas, en matière de mariage, des Roméos et des Juliettes. En France, la pression sociale est plutôt celle de la religion officielle de la Démocratie et des multiples Droits de l’Homme sans Dieu. En Roumanie, la pression sociale catholique est plus forte que la pression orthodoxe, si l’on en juge par les pourcentages de pratique, de l’ordre de 90% chez les catholiques et 70% chez les orthodoxes. Elle peut être vécue consciemment et religieusement par les uns, dont elle facilite la sanctification, et passivement par d’autres, fous potentiels auxquels elle sert de garde-fou contre la débauche, la drogue, le crime, le désespoir. Elle engendre aussi, inévitablement sa proportion de révoltés et de tartuffes. Combien, dans les diverses communautés, se soucient vraiment d’avoir la vérité la plus vraie, la tradition la plus ancienne, la plus vivante et la plus authentique ? combien prient pour la fin du schisme et l’unité de l’Église ? Ce n’est pas moi qui vous le dirai. Dieu le sait…

RICHESSE ET PAUVRETÉ

Lors de notre retour vers l’aéroport de Bucarest, des policiers firent stopper l’excellent conducteur de notre car,

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et, prétextant, à tort, un excès de vitesse, lui infligèrent une amende de 100 lei et refusèrent de lui donner un reçu. Eh ! oui, Ce n’est pas seulement au Liban, en Colombie ou en Afrique qu’on voit des choses comme ça. Quand les policiers sont mal payés, ils se débrouillent pour arrondir leurs fins de mois. Naturellement, les 100 lei, qui équivalent à 30 euros, furent immédiatement remboursés au supposé délinquant. Mais si l’on songe que le salaire moyen d’un ouvrier équivaut à 200 euros par mois (660 lei) et que les enseignants font grève pour obtenir l’équivalent de 500 euros (1650 lei) , une amende de 100 lei est exorbitante. La vie est moins chère qu’en France, bien sûr, les gens que nous avons croisés dans la rue ne semblaient pas affamés, n’étaient pas vêtus de haillons et nous n’avons guère rencontré qu’un seul mendiant à Iasi. Mais tout de même, 2000 habitants de Sabaoani sont allés, comme beaucoup d’autres Roumains, chercher fortune à l’étranger, et soutiennent , par leurs envois d’argent, leurs vieux parents dont les minimes retraites ne suffisent pas pour vivre.
De Bucarest à Bucarest (les billets d’avions étant achetés individuellement) les organisateurs nous avaient demandé 160 euros par personne, soit 3200 euros pour couvrir le logement, le transport en car, la nourriture et l’entrée dans les monastères de 20 personnes pendant 6 jours et 7 nuits, et ne nous demandèrent aucune rallonge. Les gens de Sabaoani étant trop pauvres pour héberger chez eux des étrangers, après une nuit passée dans des conditions rustiques à Bucarest, chez des Français, les Frères de Saint Jean, nous fûmes logés très confortablement, à proximité du village dans une maison flambant neuf, entourée d’un grand jardin, destinée à recevoir des groupes pour retraites et séminaires, tenue par deux franciscains en pékins et trois sœurs en habit religieux : chambres à deux lits avec salle d’eau, douche, WC, double vitrage aux fenêtres, moquette par terre, bref, le niveau d’un bon 2 étoiles. La nourriture n’était pas à l’avenant, mais enfin, le vin du pays, une sorte de muscadet, en plus fruité, la faisait couler agréablement et les pommes locales, vraisemblablement bio, qui étaient notre dessert ordinaire, étaient plus savoureuses que celles qu’on trouve ordinairement dans nos supermarchés. Et puis enfin, pour ce prix-là, même en Roumanie, on ne peut pas faire d’excès de gastronomie et le but du voyage, n’était pas de nous faire faire des péchés de gourmandise. Bref, le rapport qualité/prix était excellent. En Roumanie, pour le moment, avec quelques euros, on peut encore se sentir riches.
J’étais allée déjà en Roumanie, en 1995, à l’occasion d’une Biennale de la Langue Française. En treize ans le pays a beaucoup changé. Il était alors misérable. Il donne aujourd’hui une impression, sans doute superficielle, de prospérité. La traversée des villes, obligatoire, faute de boulevards périphériques, montre le clinquant du capitalisme envahissant, qui ne dissimule pas entièrement la lèpre des HLM héritées du communisme. Elles n’ont rien de bien séduisant. Les coupures d’électricité sont, m’a-t-on dit, fréquentes, la Roumanie n’ayant pas assez de sources d’énergie pour en faire suffisamment. Quant à la campagne, elle vit comme on vivait en France il y a cent ans. À la suite d’une révolte paysanne en 1907, diverses réformes agraires mirent fin au régime des vastes propriétés et aboutirent à une distribution des terres. Après l’organisation en kolkhozes du régime communiste, on rendit ce qu’il possédait, ou l’équivalent, à chaque propriétaire ou à ses descendants. La plaine immense est donc divisée en parcelles cultivées individuellement, de façon très peu mécanisée, avec des chevaux et des carrioles, ce qui fait que 13.000 personnes peuvent y vivre ou vivoter de l’agriculture, ce qui serait impossible avec les moyens modernes de production. Est-ce un bien ou un mal ? Les écolos doivent avoir leur avis là-dessus. Lors de notre séjour, on voyait des champs déjà labourés, quelques friches, et surtout du maïs, en train d’être récolté. Les maisons sont cubiques, de plain-pied, peintes des diverses couleurs en usage en Europe centrale, plus ou moins entretenues ou négligées, entourées d’un jardin, ornées d’une treille de vigne assez importante, sans eau courante avec un puits et une cabane-toilette au fond du jardin. Elles sont malheureusement couvertes de toits de tôle ce qui est plutôt laid, même quand ils sont peints en bleu ou en rouge criards. Elles sont un peu plus jolies dans les Carpates que dans la plaine. La plupart des rues sont des chemins de terre, boueux dès qu’il pleut. La médiocrité de la vie quotidienne des Roumains fait un complet contraste avec la splendeur des édifices religieux construits depuis la chute du communisme. Certes, les matières premières et la main d’œuvre sont moins chères qu’en France, mais les gens y sont plus pauvres et n’ont, paraît-il, pas reçu de subvention ; ils ont dû, par conséquent, mettre généreusement la main à la poche et à la pâte.
Il y a à Iasi deux cathédrales : la plus petite a été construite en 1789 dans le style italien du XVIIIe s. ; elle est utilisée en semaine.

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La plus grande, toute récente, qui peut contenir plus de 2000 personnes, est ronde, en forme de couronne. Elle est éclairée de vitraux modernes, en verre épais, suffisamment figuratifs ; les allées, dallées de mosaïque de marbre convergent vers l’autel et son tabernacle central. Une tribune court tout autour de l’édifice, avec l’orgue et une place pour la chorale. Sa balustrade, blanche, sert de support à une frise de dessins représentant à droite le chemin de croix, à gauche la vie de la Vierge. Il faudra que je vous montre des photos pour que vous vous rendiez compte. Sur les trois églises récentes construites à Sabaoani, deux sont très remarquables.

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Saint Joseph, tout blanc est entièrement décoré d’un métal qui semble d’or. Au dessus de l’autel, une statue monumentale de St Joseph et de part et d’autre des plaques en bas relief représentant, les deux plus grandes, la Sainte Famille et la série des plus petites, le chemin de croix. À Notre Dame du Rosaire, l’abside est entièrement couverte d’une grande mosaïque représentant la dite Notre-Dame dont je vous ai scanné une carte postale. Ce n’est pas de la copie de gothique, ni de la copie de byzantin, c’est quelque chose d’à la fois traditionnel et nouveau. Ces églises modernes ont été pour moi le sommet du voyage, parce qu’elles sont la preuve qu’un art religieux “contemporain” peut n’être ni destructeur, ni sordide, ni blasphémateur mais au contraire, majestueux et sacré. Quant au séminaire catholique de Iasi, il a bénéficié d’un tremblement de terre en 1970, à la suite duquel les autorités communistes ont donné l’autorisation de le réparer. En fait de réparer, il fut entièrement reconstruit je ne saurais vous dire en quelle année. Aujourd’hui, il s’élève au bout d’une allée de cyprès comme une sorte de palais où l’on n’a épargné ni le marbre ni les chromes brillants. Quand, sortis de leurs maisonnettes, les petits paysans candidats au sacerdoce y arrivent ils doivent se dire : “Que les prêtres sont des gens importants pour qu’on les forme dans un lieu pareil !”. On ne peut pas exclure que cette considération influe sur la vocation de certains…

ET CELUI DE NOS DEUX “MARTYRS”

Leur biographie est nettement mieux documentée que celle de Parascheva. Ce ne sont pas à proprement parler des martyrs puisqu’ils n’ont pas été condamnés à mort et exécutés mais sont morts en prison de mauvais traitements. Mais on les considère comme tels

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Mgr Anton Durkovici né en 1888, avait un père croate et une mère autrichienne qui, devenue veuve alla rejoindre à Iasi une tante qui y tenait un restaurant. Le jeune Anton fut un garçon pauvre et brillant, qui fit de grandes études et fut ordonné en 1910 dans la basilique romaine de St Jean de Latran. Après avoir occupé divers postes, plus ou moins honorifiques et enseigné la théologie au séminaire de Bucarest, il fut nommé le 30 octobre 1947 évêque de Iasi , à un moment où les communistes voulaient faire une église de “prêtres pour la paix” séparés de Rome, comme en Chine, ce qui n’eut d’ailleurs aucun succès. Bien sûr il n’était pas d’accord, et un jour de 1949 il fut arrêté, sur le chemin d’une église du diocèse où il allait donner la confirmation, et emprisonné. On le retrouva mort de faim dans sa cellule le 10 décembre 1951. On ne retrouva jamais son corps, et pour toutes reliques, une niche, dans le mur de la petite cathédrale, ne contient qu’un peu de terre du lieu présumé de la fosse commune où il doit avoir été jeté.

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Mgr Vladimir Ghika, lui, était un prince de sang royal, né orthodoxe en 1873, qui avait fait ses études secondaires en France et y avait suivi les cours de l’école des Sciences Politiques. Il avait su résister à la pression sociale et était passé au catholicisme en 1902. C’est un ardent contemplatif, actif sur tous les fronts de la diplomatie, de la charité de l’apostolat. Rentré en Roumanie, il y implante en 1906 les sœurs de St Vincent de Paul. Installé de nouveau en France en 1918, il est ordonné prêtre en 1923 et fonde à Auberive en Seine et Marne un institut qui ne lui a pas survécu “les frères et sœurs de l’ordre de saint Jean”. Il retourne en Roumanie en 1939, et, au moment de la prise de pouvoir par les communistes, refuse de suivre le roi Michel dans son exil. Il est arrêté en novembre 1952 et meurt dans la prison de Jilava le 17 mai 1954. À la différence de son confrère Durkovici, il est enterré dans une belle tombe que nous avons réussi à dénicher dans le cimetière qui sert de Père la Chaise à Bucarest, agréablement arboré et très bien
entretenu, plein de chapelles familiales imposantes qui prouvent clairement que pour les Roumains, contrairement au dogme communiste, la mort n’est pas un pur néant.

CONCLUSION

Si par hasard vous étiez préoccupé par l’unité des chrétiens et désireux de prier pour la réunion de l’église orthodoxe et de l’église romaine, je vous recommande l’intercession des futurs bienheureux Anton et Vladimir.