Pour que le Christ vive en moi
Le cheminement vers la sainteté consiste à nous corriger nous-mêmes. Tel est bien le principe du pèlerinage qui nous propose de progresser physiquement et spirituellement vers la lumière, sachant que le but géographique n’est, au plus, qu’un moyen et non la fin qui consiste toujours à quitter notre état actuel pour un plus grand amour du Seigneur. Ici l’effort du pèlerin est de renoncer à son “moi” au profit de la vie du Seigneur en lui. Tel était bien l’esprit du pèlerinage accompli par nos Compagnons et amis partis le 8 mai du Mont Gargan pour rejoindre le Mont Saint-Michel fin septembre 2009 lors des fêtes solennisant le 1300ème anniversaire de sa Dédicace.
Ce pèlerinage pour le relèvement de la France et de l’Europe égrenait à l’occidentale chapelets, suppliques et méditations. Il portait aussi les intentions particulières confiées aux pèlerins ainsi que leurs remerciements gracieux envers leurs hôtes d’étapes. Or le caractère continu de cette litanie ambulante lui conférait quelques aspects de la démarche orientale, mettant en pratique cette parole de l’Apôtre: ” il faut prier sans cesse”( I Thess. 5, 17 ). Certes elle ne revêtait pas dans sa forme verbale la simplicité de la “prière de Jésus” que ‘ruminent’ les pèlerins orthodoxes, mais elle en illustrait l’esprit d’invocation continuelle et ininterrompue de la seigneurie de Jésus par les lèvres , le cœur et l’intelligence, dans le sentiment de sa présence en tout temps et en tout lieu. En quelque sorte ce pèlerinage respirait avec les “deux poumons” de la Chrétienté d’Europe, unissant, selon la recom-mandation de Jean-Paul II, la diversité occidentale à la continuité orientale.
Comme “nous ne savons pas ce qu’il faut demander” (Rom. 8, 26), seule sa fréquence est laissée à notre initiative pour atteindre la “pureté de prière qui est la mère de tout bien spirituel”(Cf. Récits d’un pèlerin russe ), à ceci près que l’Apôtre recommande de nous y tenir “sans cesse”. Comme elle doit demeurer ” intérieure et spirituelle”(Saint Dimitri de Rostov ), nul aspect quantitatif ne sied donc à cette prière, ni volume sonore, ni précipitation hâtive. Elle doit d’abord être une écoute de la parole du Seigneur: souvenons-nous donc du prophète Élie sur la montagne de l’Horeb, il ne perçoit Dieu ni dans l’ouragan ni dans le tremblement de terre mais bien dans la “brise légère”(I Rs 19, 11-12). Quant au rythme seul convient celui d’une psalmodie paisible et joyeuse.
La paix et la joie sont bien les marques tangibles de toute véritable progression sur la voie de la sainteté et elles demeurent les critères les plus probants de ce que notre attachement à une valeur dite “sacrée” ne dissimule aucune violence sous-jacente, mais s’avère plutôt une exigence d’effacement de notre “moi” aux antipodes de toute contrainte d’autrui. Nous les trouvons aussi bien chez un saint François que chez les moines orthodoxes du Mont-Athos se reconnaissant eux-mêmes comme des “hommes qui ne parlent presque pas, mais sont tous unis, confondus dans une aspiration commune au bien, à l’harmonie, à la joie généreuse de s’être consacré à Dieu et à leurs frères.
Aussi irradient-ils une paix qui pénètre toute chose, une paix qui imprègne jusqu’aux lieux naturels et ennoblit les objets les plus humbles et se diffuse jusqu’au ciel ou elle élève celui qui la perçoit” (Mont-Athos, “méditation dans la vie monastique”, p.77, chez Nathan).
Gilles Fragnaud, M.G.
Octobre 2009