Lettre ouverte au Président de l’ADMD

Monsieur le Président,

Vous avez déclaré récemment que selon vous « les soins palliatifs et l’euthanasie sont complémentaires… l’un ne va pas sans l’autre ». Qui plus est vous plaidez pour « une législation qui marche sur ses deux pieds ».

A regarder de plus près il me semble que cet équilibre que vous appelez de vos vœux ressemble plus au mariage de la carpe et du lapin qu’à une heureuse union. Il s’agit d’une union bien boiteuse, une contrefaçon.

Il est facile sur le papier et dans un cadre purement légaliste de se prétendre l’apôtre de deux options qui dans la réalité sont aux antipodes et totalement incompatibles.

Je ne vous refuse pas de considérer aussi les soins palliatifs non seulement comme une nécessité mais comme un grand bien dans l’aide que l’on doit apporter à des malades qui entrent dans la phase terminale de leur maladie.

Je salue votre étonnante lucidité à souligner qu’une des failles de la loi Léonetti est qu’elle ne prend pas suffisamment en charge la fin de vie et que la sédation palliative terminale, comme vous le dîtes avec justesse « prive le patient de sa lucidité », devenant ainsi une « source de souffrance pour les proches ». Encore faudrait-il préciser ce que vous entendez par « sédation palliative terminale ». Encore une fois, l’écrit à tête reposée n’a souvent rien à voir avec la réalité de terrain.
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Comment pouvez-vous rapprocher, sans créer de confusion, l’attitude qui consiste, et malgré des insuffisances et dans certains cas une réelle impuissance, à accompagner une personne vers la fin naturelle de sa vie et celle qui consiste à abréger violemment la vie, même avec le concours de substances au pouvoir anesthésiant aussi efficace que définitif.

Qu’elle soit impunément volontairement donnée ou qu’elle soit naturellement accompagnée vous ne pouvez pas prétendre mettre sur un pied d’égalité la mort : ce serait négliger ce qu’elle est fondamentalement.

Dans les soins palliatifs si la mort est à l’horizon de la conscience elle ne l’est que comme le cours naturel de la vie qui va vers son terme dans un accompagnement serein.

Dans « l’euthanasie active » pour laquelle vous militez la mort est l’objectif en soi.

Vous semblez oublier que l’homme est une personne.

La mort provoquée s’inscrit dans une conception purement matérialiste de l’homme.

Il existe une contradiction à dire qu’ « aucun choix ne doit être imposé » et qu’il faut « un cadre qui respecte la liberté de la personne ».

Pouvez-vous me dire où est la liberté de la personne qui se voit, sans possibilité de contrôle, imposer l’administration d’un produit létal. La liberté n’a sans doute pas la même signification pour vous et pour moi. Etre libre ne consiste pas seulement à pouvoir mais à vouloir jusqu’au bout.

Dans « l’aide active à mourir » (qui est une meilleure expression que le terme devenu ambigu d’euthanasie !) la liberté de la personne s’arrête au choix qu’elle fait à un moment déterminé de laisser un autre lui donner la mort. Elle n’est plus ensuite que le jouet de la volonté d’autrui, quel qu’il soit.

D’ailleurs et d’après l’expérience suisse, malgré l’apparence de législation favorable, tout est fait en sorte que la mort reste jusqu’au bout la décision de l’intéressé, même si les conditions rendent cette « liberté » une pure hypocrisie dans le but d’éviter à celui qui joue au « simple témoin », une action en justice pour complicité de meurtre. A l’époque, que je croyais abolie, de l’esclavage, le maître avait droit de vie et de mort. Vous prônez une forme de retour à l’esclavage !

Votre raisonnement est compréhensible : pour faire passer l’idée majeure que vous défendez, cette « aide active à mourir », vous vous appuyez désespérément sur la béquille des soins palliatifs, que vous n’aurez de cesse d’abandonner une fois que la législation vous aura donné l’autorisation que vous appelez de vos vœux le « Droit à Mourir dans le Droit ». Quant à moi je ne vois pas dans ce combat un combat pour plus de dignité.

Non, monsieur le Président, vous ne ferez croire à personne que l’équilibre est dans un juste milieu entre l’« aide active à mourir » et les soins palliatifs.

Les soins palliatifs ne seront jamais « le couloir de la mort » !

Ce que vous attendez fondamentalement c’est une disposition légale qui vous exonère de la responsabilité pénale de donner la mort.

Ce que vous demandez n’a qu’une seule traduction : vous voulez immuniser des peines de la législation en vigueur qui interdit de donner la mort, les acteurs qui sont prêts à « aider activement à mourir » les 2500 à 10 000 personnes qui selon votre étude seraient disposées à recourir à leurs services.
Posté le 27 juin 2008 par Dr. Pierre