Organisateurs : La Route de l’Europe chrétienne, association dont la finalité principale est l’implantation d’oratoires dans toutes les nations d’Europe.
Itinéraire : au départ d’Avignon : Catalogne (Barcelone, Manrèse et Montserrat), Andalousie (Velez Rubio et Grenade), Castille (Tolède, Avila, Getafe), Aragon (Saragosse), de nouveau Catalogne (Poblet) et retour à Avignon. Tout le long du chemin, nous fumes rassasiés de cantiques, prières, admonitions et messes « extraordinaires ». Nous étions 31, y compris le chauffeur, à le parcourir.
Accompagnateurs : Saint Joseph, santa Teresa de Jesus, native d’Avila et leurs auxiliaires : notre fidèle chanoine Trauchessec et le couple de nos amis, Robert et Claudia Mestelan, fondateurs de l’association, dont le dévouement, les relations dans le monde ecclésiastique et le désintéressement permettent à leurs compagnons de voyager pour des prix doux.
Une condition : Il était entendu dès le départ qu’on ne parlerait pas de politique, pour éviter toute discussion, voire dispute, oiseuse et qu’on oublierait pendant une semaine l’élection présidentielle. Ce parti pris nous priva de la Valle de los Caidos dont la visite aurait nécessairement entraîné une apologie de Franco qui n’aurait peut-être pas plu à tout le monde…
Nous avons fait un beau voyage
Comme disait la Madre Teresa : « Le monde est en feu, ce n’est pas le moment de parler de choses sans importance ». Essayons donc, dans ce récit, de ne dire que ce qui est important, en pensant que si l’incendie du 16ème siècle a été circonscrit, si tout n’a pas brûlé, elle y est sans doute pour quelque chose, et que par conséquent, nous pouvons nous aussi, à notre petite place, faire quelque chose pour que l’incendie du 21ème siècle soit circonscrit et que tout ne brûle pas.
Et pour ceux qui trouveraient notre époque fâcheuse, elle ajoutait que « la vie n’est qu’une nuit dans une mauvaise auberge » dont elle avait la ferme espérance de se réveiller au Paradis, comme le comte d’Orgaz, à l’enterrement duquel, par la grâce du Gréco, nous avons assisté à l’église saint Thomas de Tolède.
Qu’est-ce qu’un pèlerinage ? Une sorte de retraite, non statique, mais mobile, à faire dans un ou plusieurs lieux éloignés de notre résidence habituelle, ayant une signification religieuse, historique, symbolique. Il se trouve que la plupart de ces lieux sont naturellement et artistiquement magnifiques. Les pèlerins ont les yeux bien ouverts et le tourisme leur est donné par surcroît.
Et quelle est la signification de l’Espagne ? Même si aujourd’hui elle ne résiste pas plus que le reste de l’Europe, son nom signifie résistance. Résistance à quoi ? à deux grands fléaux dont Dieu se sert pour empêcher les mauvais chrétiens de s’endormir et le sel de perdre sa saveur : depuis 711, le monothéisme antitrinitaire et guerrier de l’Islam et, depuis 1808, l’athéisme révolutionnaire, comme le prouvent les épisodes les plus importantes de son histoire.
Quelle était la finalité principale de notre pèlerinage ? La bénédiction, le 19 mars, fête de saint Joseph, d’un oratoire dédié à ce saint, à côté de la « fontaine du chat », à quelque distance de la bourgade andalouse de Velez Rubio.
Hein ? Quoi ? Oui, oui ! Une voisine des Mestelan, dont le mari est natif de Velez Rubio, où il avait encore de la famille, leur avait signalé que tous les 19 mars, jour de la saint Joseph, qui est férié et chômé en Espagne, les Velez-Rubiens vont en bande pique-niquer à proximité de cette fontaine où coule un mince filet d’eau ferrugineuse, et que le Maire verrait d’un bon œil qu’une statue de saint Joseph préside cette fête par trop profane. Le curé n’en voyait pas l’intérêt.
Mais effectivement, le Senõr Alcalde, qui est un caballero dont le visage et toute la tenue révèlent une certaine noblesse, a favorisé le projet, trouvé le beau-frère de la voisine des Mestelan, Eliséo, pour le réaliser et dignement présider la cérémonie, précédée d’une messe dans la collégiale baroque de cette petite ville pas trop déchristianisée : ce n’est pas en France qu’on verrait pendre aux fenêtres des toiles violettes pour célébrer le carême, ni qu’on verrait affiché sur un monument public quelque chose comme hermandad de la Vera Cruz y Sangre di Cristo… (Fraternité de la Vraie Croix et du Sang du Christ)
Et c’est important, ça ? Oui, oui ! Prier saint Joseph devant sa petite statue auprès de cette petite fontaine, c’est aussi important que de le prier à la Sagrada Familia de Barcelone, cette église extraordinaire, impossible à transformer en mosquée, qui attire comme un aimant des milliers de touristes, et que l’avant-veille, le curé francophone nous avait fait visiter en détail et avec enthousiasme, nous vantant les mérites de son architecte Antoni Gaudi (1852-1926) qui commença à travailler à cette église en 1882, lui consacra intégralement les vingt-cinq dernières années de sa vie, et sera sans doute un jour béatifié. Son œuvre, restée inachevée au moment de sa mort accidentelle, fut continuée par d’autres architectes et on y travaille encore. Nous avons eu le privilège d’une messe dans la crypte, à côté de sa tombe.
Et c’est important de prier saint Joseph ? Et comment ! Songez qu’il est le chef de la Sainte Famille, donc habilité à sanctifier toutes les familles, qui sont le lieu normal de la transmission de la vie humaine depuis la conception jusqu’à la mort naturelle et au-delà, jusqu’à la vie surnaturelle, et que ses qualités de Grand Charpentier et de Descendant du Roi David lui donnent les compétences nécessaires pour recharpenter de fond en comble une société qui est le pur produit de l’athéisme révolutionnaire et lui donner une toute autre impulsion politique. Il a à résoudre (disons, à nous inspirer la manière de résoudre) des problèmes économiques, moraux, éducatifs, démographiques, écologiques énormes. Bien sûr, il n’y parviendra pas en un jour. En attendant, qu’il bénisse les micro chrétientés que nous pouvons construire autour de nous et qui feront, si Dieu veut, tache d’huile, ce ne sera déjà pas mal.
Il a, pour l’aider dans cette tâche, tous les martyrs connus et inconnus qui ont versé leur sang en Espagne dans leur lutte contre l’athéisme révolutionnaire. Quand nous étions à visiter la mirifique cathédrale du Pilar,
à admirer ses clochers et ses coupoles, à aller sur le vieux pont la voir se refléter dans l’Ebre, pendant notre messe dans la chapelle saint Antoine dont pas un centimètre n’est exempt de peintures et de dorures, songions-nous à ce qu’ont été, au temps de Napoléon, vecteur de la Révolution, en 1808 et 1809, les deux sièges de Saragosse ? Les Français, une première fois repoussés, durent prendre la ville maison par maison, et les femmes, la servante Augustine, tout comme la jeune et belle comtesse Zurita, participaient, comme les hommes, au combat. Au fait, Goya, qui a peint l’emblématique Dos de Mayo et gravé toutes les horreurs de la guerre, était de Saragosse. Nous y vîmes sa statue, aux pieds du Pilar.
Et Tolède où nous arrivâmes de nuit, roulant nos valises de ruelle en ruelle, jusqu’au Carmel transformé en luxueuse hôtellerie ? Eh bien ! nous apprîmes qu’en 1936, les 16 pères Carmes qui l’occupaient ont été fusillés par les rouges. Et son Alcazar, assiégé du 21 juillet au 27 septembre 1936, commandé par le colonel Moscardo, comparable à Abraham et à Dieu le Père ? Jugez-en plutôt : les rouges avaient fait prisonnier son fils Luis, 17 ans, et lui passèrent le téléphone : « Papa, ils disent que si tu ne rends pas l’Alcazar, ils vont me fusiller. » « Eh bien, dis ton confiteor, recommande-toi à la Sainte Vierge et sois courageux ! » Et Luis Moscardo fut fusillé…
Bon ! Tous ces gens-là, si admirables qu’ils soient, ne sont que des intercesseurs. Le dernier mot reste au Dieu fait homme au Sacré Cœur duquel, en 1919, le roi Alphonse XIII consacra toute l’Espagne et érigea un monument à Getafe, petite ville de la banlieue sud de Madrid, sur une colline dite « des Anges », d’où on a une vue circulaire admirable. Bien entendu, le monument fut dynamité pendant la guerre civile et reconstruit en plus grand et plus beau après que Madrid fut enfin tombé aux mains des Nationalistes le 26 mars 1939. A proximité se trouve le Carmel d’une certaine sainte Maravillas de Jésus (1891-1974), exacte contemporaine à un an près de Franco, canonisée en Espagne le 4 mai 2003 par Jean-Paul II. Non sans mésaventures, elle échappa pendant la guerre, à la fusillade, et se révéla une grande fondatrice, comparable à sainte Thérèse d’Avila. Elle donnait à ses filles un conseil dont tout le monde peut faire son profit : « Pour parvenir à l’union de l’âme avec Dieu, il faut être attentif aux petites choses sans importance aux yeux du monde. Et c’est dans ces petites choses que se trouve la sainteté. Ne laissons pas échapper ces occasions que le Seigneur, dans son infinie Miséricorde, place sur notre chemin tant de fois par jour. Le Seigneur demande peu de grandes choses dans la vie et à ces moments-là, Il donne une force spéciale pour aider à les porter. C’est dans ces bagatelles qu’Il veut que nous Lui prouvions notre amour et c’est dans ces bagatelles que se trouve notre sanctification. Parfois, nous rêvons de faire pour le Seigneur des choses extraordinaires ; c’est très bien d’avoir de grands désirs ; mais la sainteté, c’est de faire aussi toutes ces petites choses qui sont à notre portée. »
La reconquête de l’Espagne sur l’Islam fut une toute autre affaire que la reconquête de l’Espagne sur les rouges. Elle ne dura pas trois ans, mais presque 800, de 711 à 1492. Quelle longue patience ! Que de hauts et de bas ! Quel exemple, sur la longue durée, de persévérance dans les négociations, les combats, et la confiance en Dieu !
Ceux d’entre nous qui acceptèrent de débourser 6€ visitèrent, dès le premier jour, la cathédrale de Barcelone (en Espagne, les grandes cathédrales sont gratuites pendant les offices, disposition dont nous bénéficiâmes à Tolède à l’occasion d’une messe en rite mozarabe, mais payantes pour les « visites culturelles »). On y vénère, dans un magnifique sarcophage, la patronne de la ville, la jeune sainte Eulalie, martyrisée en 304, du temps de l’empereur Maximien, qui fut assez célèbre dans toute la chrétienté pour inspirer une poème dit Séquence de sainte Eulalie, composé à l’abbaye de Saint-Amand près de Valenciennes peu après 878, qui compte parmi les quelques très ancien documents d’une langue romane qui n’était déjà plus du latin et était destinée à devenir la langue française. Cette sainte protégea-t-elle efficacement sa ville ? Toujours est-il que l’occupation musulmane y dura moins d’un siècle et qu’elle fut libérée dès 801. Mais ce grand port ne pouvait pas rester indifférent au sort des chrétiens enlevés par les pirates barbaresques. C’est là qu’en 1218, le saint languedocien Pierre Nolasque fonda l’ordre des Mercédaires, encore appelé Ordre de Notre-Dame-de-la-Merci (en latin : Ordo Beatae Mariae Virginis de Redemptione Captivorum), pour racheter les malheureux réduits en esclavage dans les bagnes d’Alger et de Tunis et éventuellement, prendre leur place. Dans la cathédrale, une chapelle commémore cette fondation. Et dans celle du Saint Sacrement, une relique insigne : le crucifix qui figurait à la proue du navire du Juan d’Autriche, le jour de cette victoire de Lépante qu’il remporta sur la flotte turque et qui empêcha les musulmans de réaliser leur projet de s’emparer de Rome.
A Grenade, l’Alhambra fournit à nos méditations un intéressant point de comparaison. Que signifient, en effet, ces jardins du Generalife où les fleurs, arrosées de ruisseaux, s’épanouissent sous des ifs taillés, à l’abri d’un soleil trop ardent ? ces salles ouvertes sur des pièces d’eau ou des fontaines, ces fines colonnettes, ces élégantes arabesques et inscriptions calligraphiques ? les délices de la paix de l’Oumma, celle qui règnera sur le monde quand le djihad, partout victorieux, n’aura plus de raison d’être et que les guerriers pourront se reposer ! Et s’occuper à quoi, pour tuer le temps ? à jouer aux échecs ? à écrire des poèmes sur les roses ? à fumer le narghileh ? à écouter un joueur de luth ? à boire du thé à la menthe, en dégustant des gâteaux au miel ? à honorer leurs quatre épouses et multiples concubines, qui, enfermées dans le harem, attendent docilement d’être « labourées » ? En espérant, au jour de leur mort, aller rejoindre dans le paradis d’Allah les houris que Mahomet leur aura préparées ? C’est un idéal, ça ?
A supposer même que le Calife adhère à une confrérie « soufie », qui est ce que l’Islam possède de plus mystique et de plus pacifique, pensez-vous qu’il arrive seulement à la cheville du plus modeste moinillon, de la plus humble novice qui se prépare à faire vœu de pauvreté, de chasteté et d’obéissance ? à passer sa vie entière à soigner les lépreux ou les clochards ? à se faire prisonnier ou prisonnière volontaire pour n’avoir d’autre occupation que Dieu ? Et à aimer ses ennemis et à prier pour eux ? Or les ordres religieux n’ont pas disparu de l’Espagne. Si, il est vrai, les Carmes déchaux de Tolède portent des chaussures et des blues jeans, ne sont plus que cinq, et sont devenus de très bons et très aimables hôteliers, il y a encore des Carmélites qui prient derrière leurs grilles à Avila et à Getafe.
Il y a encore, à Montserrat, des bénédictins que nous avons entendus chanter les vêpres aux pieds de l’antique Vierge Noire, appelée tendrement par les Catalans la « brunette », la Moreneta, et nous n’oublierons pas la petite chapelle, juste derrière la Moreneta, où, le lendemain matin nous avons eu la messe du dimanche. Il y a encore des Cisterciens à Poblet et ils recrutent !
Et ils reprennent doucement le rôle civilisateur qui a été le leur dans le haut Moyen Âge en faisant de l’hôtellerie de leur magnifique monastère, qui attire tant de touristes et de pèlerins, une école hôtelière où on essaye de retrouver les anciennes recettes monastiques et où on ne sert que les aliments naturels et le vin produits par les moines. Nous y avons déjeuné et c’était bon ! Et dans la grotte de Manrèse où il a écrit ses Exercices spirituels, saint Ignace de Loyola, sinon en corps, du moins en esprit, continue à prier pour que ses Jésuites restent dignes de saint François-Xavier et de tant d’autres lumières de leur ordre.
C’est pourquoi, dans la chapelle Royale attenante à la cathédrale de Grenade, nous avons vénéré les tombeaux de Ferdinand d’Aragon et de son épouse Isabelle de Castille, ceux qui ont mis le point final à la domination musulmane sur l’Andalousie, auxquels le Pape de l’époque a décerné le titre de « Reyes catolicos » et admiré, dans une vitrine, l’épée de Ferdinand et la couronne d’Isabelle.
Tout cela, ce sont des braises toutes prêtes à faire reflamber l’antique ferveur de la chrétienté et à convertir nos envahisseurs musulmans, surtout si la Sainte Vierge, qui nous a donné tant de preuves de sa puissance, vient à s’en mêler ! Ne raconte-t-on pas que dans ces tout premiers temps du christianisme où saint Jacques le Majeur était parti évangéliser l’Espagne, alors qu’il était découragé par trop d’échecs et pensait à retourner en Palestine, la Sainte Vierge encore vivante, par quelque effet de bilocation, vint le trouver et lui remit un pilier sur lequel il pourrait construire son église, le fameux Pilar sur lequel repose la petite mais très vénérée statuette de Nuestra Señora del Pilar, ce pilier que, par une petite ouverture pratiquée par derrière, on peut toucher, baiser, faire toucher à son chapelet !
Saint Thérèse avait un ami, saint Jean de la Croix, qui fit lui aussi, un bout de chemin avec nous. En qualité de réformateur de l’ordre carmélitain, il eut pas mal à souffrir de ses frères qui, rebelles à sa réforme, l’enfermèrent dans un cachot pieusement réstitué au Carmel de Tolède où nous couchâmes. Il écrivit La montée du Carmel (la subida del Monte Carmelo) où il explique le rôle actif de l’âme dans son ascension vers Dieu. Or l’Espagne ne manque pas de montagnes qui peuvent servir de symboles et nous rappeler cette subida que nous aurions tout intérêt à faire pour le salut de notre âme. Celles de Montserrat sont faites de rochers nus et déchiquetés. D’autres sont couvertes de neige. A l’aller, comme au retour, le Canigou dans toute sa splendeur. Et surtout, au-dessus de Grenade, la Sierra Nevada ! Et, le croiriez-vous, après une matinée lumineuse à Grenade, en route vers Tolède, nous vîmes le ciel se brouiller et tomber quoi ? de la neige ! Tolède sous la neige !
A Avila, un froid de loup, des fleurs de givre sur le pare-brise des voitures et d’Avila jusqu’aux abords de Madrid, toute la campagne d’un blanc immaculé, de cette pureté qui devrait être celle de nos âmes si nous avions profité à fond de ce pèlerinage !
Jacqueline Picoche