Pèlerinage des Pères de famille à Cotignac

« Ite ad Joseph, montons à Cotignac »

« Mon Père, mon Père, je m’abandonne à Toi
Fais de moi ce qu’il Te plaira. »

Les derniers versets de la belle prière du bienheureux Charles de Foucauld, scandés par plus de 800 voix mâles, montent vers le ciel bleu sans nuage de Cotignac, tandis que dans un concert assourdissant, les cigales saluent l’arrivée du pèlerinage annuel des pères de famille.

Créé il y a trente an par un petit groupe de pères de famille du sud-est, ce pèlerinage, au fil des années a pris une extension remarquable et si grande même, qu’aujourd’hui à son imitation et selon les mêmes principes, des pères de famille se rassemblent dans d’autres parties de la France pour marcher et prier en direction d’un sanctuaire (Sainte Anne d’Auray, en Normandie, Vézelay).

Il n’y a aucune inscription à déposer, pas d’assurance ni de cotisation. Seul fonctionne le bouche à oreille qui informe ceux qui veulent bien entendre, que tous les ans, lors du premier week-end de juillet, les pères de famille sont invités à se mettre en route pour rencontrer la Sainte Vierge et Saint Joseph, pour se mettre à l’école de la sainteté de leur vie et conduire ainsi leur propre famille sous le regard de Dieu.

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Il faut seulement disposer d’une bonne dose de courage et faire preuve d’un total esprit d’abandon pour oser quitter durant trois jours sa famille, son travail et son confort. Bien sûr, les bonnes raisons ne manquent pas pour s’en dispenser et la perspective de cette dure pérégrination dans la chaleur en suivant les sentiers rocailleux du Haut Var, éloigne les plus faibles, on se trouve soudain trop gros, trop vieux et bien sûr, pas assez en forme…

Pour le groupe de Carpentras et du Pays de Gex que j’ai décidé de rejoindre cette année, l’aventure a commencé jeudi soir par une marche de nuit silencieuse de trois heures sous un admirable ciel piqueté d’étoiles. Après avoir recueilli les derniers retardataires tombés de l’autoroute ou du TGV, nous avons traversé la Durance au pont Mirabeau, puis nous sommes remontés jusqu’à St Paul. A l’orée d’un village, un vieil oratoire nous a rassemblés pour la première prière à la Sainte Vierge dont nous demandions le patronage. C’était un bas relief d’une Vierge en majesté, fixé dans une niche romane et ses yeux pleins de compassion nous fixaient dans l’obscurité. La Vierge entourée par deux anges ou deux saints nous assurait avec douceur de sa présence tutélaire à nos côtés.

Pendant ces trois jours, loin du trafic, des voitures et des motos, nous avons foulé des sentiers parfumés au thym, à la lavande et à la sarriette, traversant des pinèdes, de grands champs de tournesol et de blé, immergés dans un paysage sublime où éclatait partout la beauté, la grandeur et la générosité de Dieu. Trébuchant sur les pierres, la gorge en feu dans la haute chaleur de midi, il nous est arrivé, comme le pauvre, de nous approcher de quelque ferme isolée pour demander de l’eau.

En cette année 2010 où l’Eglise en la personne de son Pape a été si attaquée, où la persécution a attenté à la vie d’évêques, de prêtres et de fidèles, le pèlerinage a pris une connotation grave. Pour tous ces hommes qui travaillent durement et exercent tant de responsabilités, le renoncement et l’acceptation des fatigues dont ils font preuve, prend le sens d’une purification et d’un sacrifice joyeusement accepté. C’est l’amitié de l’un ou de l’autre qui a constitué et rassemblé le groupe, parfois aussi la simple appartenance à la même paroisse ou au même groupe de prière. Comme au Moyen Age, les bannières claquent au vent et servent de points de ralliement. Sur ces drapeaux de la chrétienté, amoureusement brodés par les épouses, les mères ou les grand-mères, la Sainte Vierge, Saint Joseph, la Sainte Famille sont le plus souvent représentés, mais il y a aussi toute la cohorte des saints et des martyrs avec Saint Roch, Saint Jacques, Saint Pothin, Saint Martin, Sainte Clotilde.

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Cette année, renouvellement complet des effectifs : il y a encore de nombreux anciens, mais ce sont surtout des foules de jeunes qui viennent pour la première fois et qui expriment avec une totale liberté leur joie d’appartenir au Christ et de marcher avec Lui. Sur le dos d’un tee-shirt je lis : « Je marche vers Cotignac avec Christiane, mon épouse, Ludovic, Emilie, Daniel et Aurore. La tenue des marcheurs offre la plus grande variété et pourtant, cette masse compacte que nous croisons, en montant le col du Bessillon, exprime l’unité d’un peuple à la recherche du Bon Pasteur. Ici, chacun prie selon son cœur et toute critique sur la manière de prier serait inconvenante, car les pères de famille prient aussi bien en français qu’en latin et les différentes messes dites selon la forme ordinaire ou la forme extraordinaire se déroulent dans la sérénité et le respect absolu. Chacun prie selon ses habitudes, mais avec tout son cœur et en respectant les traditions de ses frères dans la foi. Aussi, samedi ce fut une grande joie d’accueillir Joseph Fadelle, ce Chiite converti à la foi catholique qui a eu tant de mal à se faire reconnaître et accepter par ses frères chrétiens. En quelques mots, il nous a fait comprendre toute sa joie d’avoir été ici à Cotignac accueilli spontanément.

Les prêtres qui accompagnent les groupes sont très jeunes, la plupart nés après la crise de 68 dans l’Eglise. Ils sont débarrassés de tout complexe, marchent en queue de colonne et passent leur temps à écouter ou entendre en confession ces hommes qui ont la joie de découvrir un prêtre qui a le temps de s’occuper de leur âme.

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Comme toujours, la messe du samedi soir à l’arrivée est un sommet inégalable. Elle rassemble tous les pèlerins, les prêtres, la communauté Saint Jean, elle est présidée par Monseigneur Rey, évêque de Toulon. Ce soir, il a demandé à un de ses prêtres, au curé de Draguignan, de dire l’homélie et les hommes apprécient cette générosité et cette humilité sur cette terre qui a vu les apparitions terrestres de la Sainte Vierge et de Saint Joseph. La conversion des cœurs nous fait accéder aux joies de l’Eternité : « Mon Père, mon Père, en Toi je me confie,
en Tes mains je mets mon esprit. »

Bientôt, la nuit apporte sa bienfaisante fraîcheur. Couchés à même le sol, sur nos minces rouleaux, les yeux tournés vers le ciel, nous revivons les grands moments de cette marche. Au dessus de nos têtes, le mistral agite doucement les branches des chênes et c’est comme si les étoiles s’éteignaient et se rallumaient dans un tourbillon de lumières.

Comme Pierre, Jacques et Jean, au Mont Thabor, nous sommes harassés, nos yeux et nos membres sont lourds, mais le cœur brûlant après cette rencontre. Pères de famille qui trouvez que votre charge est trop lourde à porter, pères qui ne pouvez avoir d’enfants, montez à Cotignac, Saint Joseph vous y attend, vous en repartirez tous comme des Christophores.

Velleron, le 6 juillet 2010
Robert Mestelan